(…)
– Elle t’en fait jamais des cadeaux, elle ?
– Bien sûr qu’elle m’en fait des cadeaux ! À mon anniversaire, à Noël et pour la sainte-Roger.
– C’est sûrement pas la sainte-Roger…
– Puisque je te le dis. Vé c’est le 30 décembre. Même qu’elle m’a offert l’étui pour les boules à la sainte-Roger, ma femme…
– Non mais Roger c’est un prénom masculin, un prénom d’homme alors c’est forcément un saint, pas une sainte. Du coup c’est saint-Roger…
– Là je demanderai à quelqu’un parce que ça me semble vraiment n’importe quoi. J’ai toujours dit « sainte-Roger », moi.
– Bon, enfin ta femme elle t’en fait des cadeaux d’après ce que tu dis. Tu trouves ça normal qu’elle t’en fasse et que toi tu ne lui en fasses pas ?
– Mais Armand, enfin c’est pas pareil… c’est ma femme. C’est naturel qu’elle me fasse des cadeaux étant donné que je suis son mari.
– Tu as raison : c’est naturel qu’elle fasse des cadeaux à son mari ET c’est naturel que son mari lui fasse des cadeaux.
– Dit comme ça, ça a l’air vrai. Maintenant il faudrait essayer en le disant autrement pour voir si ça a toujours l’air vrai.
– Roger, fais-moi plaisir : au lieu de découper les estrons en huit, va vite acheter des fleurs à ta femme !
(…)
Sauveur sortait de sa sieste. Marie-Louise venait d’éteindre la télé : un sujet sur les hommes et femmes qui en voulaient à leurs parents de leur vie sexuelle dissolue. Marie-Louise avait bien rigolé.
De la rue est monté un appel « Oh Sauveur ? ». Une voix de vieux a diagnostiqué Marie-Louise.
– Dis, Sauveur, on t’appelle en bas…
– Putain, ils peuvent pas sonner, les gens, au lieu de s’égosiller comme ça pendant que je fais la sieste ?
– Comment veux-tu qu’ils sonnent ? On n’a pas de sonnette…
– C’est ça… Donne-leur raison…
– Oh Sauveur, refit la voix du dehors…
– Les gens ils respectent plus rien, pas vrai Marie-Louise ?
– Mais enfin, Sauveur, va un peu voir qui c’est ! C’est à toi qu’il s’adresse ce vieux…
– Et comment tu sais que c’est un vieux, répond Sauveur en se levant…
– Il a une voix de vieux. Voilà comment je le sais…
– Oh fatche de, c’est Milou, s’exclame Sauveur. Monte Milou.
Milou et Sauveur se voient tous les jours depuis quarante ans mais toujours au bar. Il leur arrive de se rencontrer fortuitement dans la rue mais les occasions où l’un a rendu visite à l’autre chez lui se comptent sur les doigts de pied d’un cul-de-jatte.
Milou fait la bise à Marie-Louise.
– Ça va ma belle ?
– Et pourquoi ça n’irait pas ?
– Tu crois pas, Milou, j’avais pas reconnu ta voix… se désole Sauveur.
– C’est parce que tu m’entends jamais crier fort.
(…)
Abd-el-Krim et sa bande sont une bande de jeunes de la cité Benza, pour ainsi dire en face du Bar de la Sidérurgie. Ils tirent leurs subsides et ceux de leurs familles de différents trafics mais, sens éthique oblige, ils ne touchent pas à l’alcool. Jocelyn, un des piliers de la bande est formel :
– Si mon père avait moins bu, il n’aurait pas tué sa sœur à coup de pelle parce qu’il l’avait confondue avec la voisine.
La bande d’Abd-el-Krim ne fait pas dans le grand banditisme. La délinquance bon enfant lui suffit. Ici, pas de calibres ou de kalachnikovs. En tout cas pas beaucoup.
– C’est une petite cité, il n’y a pas de concurrence. On emmerde personne, sourit Abd-el-Krim.
– Et c’est réciproque, souligne Jocelyn.
– Mais quand quelqu’un nous emmerde quand même et qu’il nous cherche les pouces sur la tête, alors nous sommes pitoyables, indique Donnadieu.
– C’est pas pitoyables, qu’on est. C’est impitoyables, corrige Jocelyn.
– C’est plus fort « impitoyable » ?
– Et bien sûr. Impitoyable, au-dessus y’a rien . C’est le désert de la Crau.
– Fatche de, Jocelyn, tu parles comme dans les films. On croirait Rambo !
(…)
Angelo et Cyprien, un instant saisis par la soudaineté du drame puis hébétés par le hurlement produit conséquemment par leur fils et frère, se lèvent comme un seul homme. Leur visage est grave. Ils ont déjà sorti Smith and Wesson 625 pour l’un, Glock Trifecta pour l’autre.
Si la vengeance est un plat qui se mange, Angelo et Cyprien vont devoir le mettre au congélateur pour plus tard. En effet, alors que les voilà debout, l’arme au poing, face à leur future victime qui a l’air aussi terrorisé qu’un géranium sur un balcon, ils ressentent simultanément la pression de trois pointes métalliques très acérées à la base de leur nuque, stoppant net leurs velléités vengeresses, mortifères et raticides.
Francis s’empare alors d’une carafe en verre estampillée Pastis 51 et en assène un coup sur la tête hurlante d’Eustache qui non seulement s’effondre comme une vieille merde mais surtout, et c’est une joie pour les oreilles des habitants des Goudes et des nombreux randonneurs qui, ce jour-là, arpentent les sentiers du massif de Marseilleveyre, se tait. La carafe, elle, a tenu le coup.
Dans le silence revenu, Dmitri, debout derrière la partie éveillée de la famille Lamberti commente à l’attention de celle-ci :
– Ce sont des fusils de chasse sous-marine. J’en ai un dans chaque main. À cette distance, je ne vous louperai pas. Posez vos armes sur les chaises derrière vous.
bravo,à l’artiste,
expatriée dans le tarn et garonne depuis trop longtemps,chaque lecture est aussi savoureuse qu’ une madeleine de Proust,
ou que dis-je » un mange tout accompagné d’un pastaga!!!
vive notre planète Mars!!
vive Charles Gobi
claire