(…)
– J’ai jamais été humilié comme ça de ma vie, soupire Armand.
– Il ne faut pas dire ça, ce n’est pas de ta faute, tempère Pierre-Paul Laroulède.
– Ici personne ne te reprochera rien, glisse René.
– D’autant plus que tu nous avais prévenu que ça allait finir en eau de boudin, laisse tomber Dmitri du haut de son mètre quatre vingt quinze.
– Vous êtes bien braves mais… j’y étais. J’y suis allé. J’ai payé pour ça. Personne ne m’a forcé alors je suis bien obligé de me mettre dans le même sac.
– Attends, Armand, tu n’as pas exactement payé… Tu es abonné, oui ou non ? Une fois que tu es abonné tu ne peux plus décider de ne pas payer. C’est parti pour toute l’année… dit Loule.
– Eh ben j’aurais pas dû m’abonner. Ne me cherchez pas des excuses : on a joué comme des viers… comme des chèvres… comme des chapacans ! Se prendre deux à zéro à la maison contre Angers c’est une tâche indélébile sur le maillot immaculé de l’oème et cette tâche, elle partira plus.
– Putain de la Caroline, tu parles bien Armand, admire René.
– Je reconnais que voilà une belle envolée lyrique, atteste Piere-Paul Laroulède qui s’y connaît.
– Peut-être, intervient Roger, mais dire qu’il t’a « culé » en plein à l’apéritif, je dirais que c’est pas le moment…
– « Immaculé », observe Pierre-Paul Laroulède, signifie « sans tâche ». Dès lors qu’une tâche se forme sur le maillot de l’oème on dira qu’il est maculé.
– Oui, ben, c’est quand même pas bien propre, s’obstine Roger.
– Moi, je suis humilié… reprend Armand, mais ce que je ne comprends pas c’est qu’à l’issue du match nous étions bien 30.000 spectateurs à attendre une réaction de la part des joueurs et de l’encadrement et il n’y a rien eu !
– Et qu’est-ce-que tu aurais voulu qu’ils fassent ? Ils ont perdu, ils ont perdu. Ils n’ont plus qu’à repartir la queue entre les jambes, dit René.
– Qu’est ce que j’aurais voulu qu’ils fassent ? Mais le minimum quand tu viens de saloper le maillot, quand tu viens de te prendre une rouste de plus devant tout le monde contre un club de village qui n’a même pas de quoi se payer une paire de chaussures, le minimum c’est de s’immoler par le feu et ensuite de se faire hara-kiri avec les poteaux de corner !
– C’est pas un fromage, hara-kiri ? interroge Roger.
– Mais non, Roger… Hara-kiri c’est quand tu te plantes un couteau dans le ventre, indique Loule.
(…)
(…)
La mâtinée s’étire.
Honoré, derrière le comptoir explique à un parisien pourquoi dans son bar on a le droit de fumer alors que c’est interdit dans tous les bistrots de France :
– Vous devez vous conformer à la législation, Honoré, professe le parisien.
– Ah mais ici c’est pas la même chose parce qu’ici… on est aux Goudes et aux Goudes, c’est comme si on était à Monaco…
– Vous plaisantez, Honoré. La loi est la même sur tout le territoire !
– Peut-être chez vous, à Paris mais aux Goudes, c’est pas pareil…
– Je ne suis pas parisien mais nantais…
– ça, c’est jouer sur les mots parce que vous savez que j’ai raison et que vous n’avez pas d’arguments ! Entre Paris et Nantes, il y a combien de kilomètres ?
– Environ 400 kilomètres…
– Et pourquoi pas 1000 kilomètres tant que vous y êtes ? Je n’ai pas la prétention d’être un expert en géographie mais je peux vous garantir que Nantes et Paris c’est quasiment à côté. D’ailleurs, c’est le même accent !
Et ça, c’est imparable…
(…)
(…)
Pour ne pas éveiller l’attention Roger s’installe à une terrasse et commande un café. Le serveur dépose sa tasse devant lui.
– Il fait beau, aujourd’hui, hein ?
– Ben pourquoi il ferait pas beau, répond l’homme, un petit gabarit avec l’air rusé affublé d’une casquette estampillée Fleury-Michon.
– Hé, je sais pas, moi… Il pourrait y avoir du mistral… Il pourrait pleuvoir…
– Comme si on avait pas assez de malheurs comme ça…
– Il vous est arrivé des malheurs ? Excusez-moi, je n’étais pas au courant…
– Avec la saison qu’on fait au vélodrome il faudrait être parisien pour avoir encore le goût de vivre… En plus on a à chaque fois l’autre pédé sur le dos… On s’en sortira jamais…
– De quel pédé parlez-vous ?
– Vous savez pas ce que c’est un pédé ? Un pédé c’est un connard avec le short noir qui nous siffle pas les coups francs. Voilà ce que c’est, un pédé ! Et nous autres à chaque match on l’a ce pédé qui nous siffle pas les coups francs et même des fois on a un pédé du cul en plus !
– Un pédé du cul ?
– Le pédé du cul c’est quand il siffle pas le penalty, voilà ce que c’est…
– Ah… Je croyais que c’était sexuel…
(…)