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Dans les années 80, au bal du 14 Juillet à la Madrague, Edmond avait été le témoin d’un de ces accès de colère froide. Gustave avait invité une fille et avant que celle-ci n’ait répondu un type s’était amené pour expliquer à Gustave que « la demoiselle ne dansait pas avec n’importe qui ».
À la décharge de ce garçon il faut convenir que Gustave n’avait pas l’air du type qui cherche les ennuis mais plutôt de celui qui, si les ennuis le trouvent, il leur tournera le dos. Aussi il affichait déjà le rictus du vainqueur quand Gustave, sans un mot, a ramassé son paquet de Gitanes maïs, son briquet bic jaune et a posé sa main sur une chaise avec laquelle, dans un seul mouvement giratoire il lui a fracassé la gueule d’un air navré.
Gustave a rejoint tranquillement Edmond sous les regards ébahis du public. L’orchestre s’était tu. Personne ne les a arrêtés. Ils sont remontés dans la DS 21 d’Edmond qui a aussitôt démarré.
Gustave a allumé une Gitane maïs sans trembler, aussi calme que la reine d’Angleterre. Dans un léger mouvement de tête il a lâché : « Il est pas con, ce con ? ».
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— C’est fait, dit-il.
— C’est fait quoi ? s’inquiète Roger.
— J’ai fait le trou dans la cloison.
— Et tu l’as vu ?
— Je l’ai vu quoi ?
— Le trésor ?
— Ah non, j’ai pas vu de trésor…
— C’est normal explique Roger. En général ils les enterrent sinon le premier couillon venu, je dis pas ça pour toi, bien entendu… Le premier couillon venu il arrive et il tombe dessus. Après ne t’étonne pas s’il gagne au loto.
— S’il trouve un trésor pourquoi il irait jouer au loto ? demande René.
— C’est bien mon avis, concède Roger. Je me demande un peu pourquoi ils jouent au loto. Déjà le tiercé c’est pas souvent, alors le loto…
— Non mais, Roger, je crois pas qu’il y ait un trésor.
— Tu as creusé par terre ?
— Non, j’ai pas creusé par terre mais c’est un amas de vieilleries… Puis ça a besoin d’être un peu aéré.
— Tant que tu as pas creusé par terre, tu peux pas être sûr à cent pour cent.
— C’est grand ? demande René.
— C’est bordélique mais ça doit faire dans les quatre mètres sur quatre. En tout cas c’est pas humide malgré l’Huveaune toute proche.
— Et tu dis qu’il y a des choses dedans ?
— Un beau merdier. Des caisses, des journaux, de la vaisselle, des cordes, du charbon… Tout ça sous un manteau de poussière.
— Il faudra tout enlever. Le trésor est sûrement dessous.
— Tu me donneras un coup de main pour sortir le tout, Roger ?
— Tu sais bien que je voudrais, je pourrais pas à cause des docteurs. Ils seraient pas d’accord par rapport à ce que j’ai.
— Qu’est-ce que tu as, Roger ? Il y a du nouveau ?
— Hé non, René… Toujours pareil. Personne sait ce que j’ai. Je me fatigue vite. L’apéro, un bon repas et je suis cuit. Il me faut la sieste ! Et ma Galinette, elle est comme moi. Que ça reste entre nous : à la sieste, en général, ça dégénère avec ma Galinette on se fait des choses et le soir, après manger on se regarde un peu la télé et on remet ça. Ben vous me croirez si vous voulez mais ensuite on est cuits !
— Et tu es sûr que c’est une maladie que vous avez ?
— Que veux-tu que ce soit ?
— C’est pas parce que vous n’avez des relations sexuelles que deux fois par jour que c’est anormal.
— Sors un peu, René ! Regarde les films de cul ! Les types ils font ça dix fois par jour comme rien… Et ne me dis pas que c’est truqué : ce n’est pas truqué ! C’est leur vraie quiquette !
Heureusement qu’avec ma Galinette on a réussi à avoir l’invalidité sinon, vé, on serait à la rue…
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— On pourrait aller se prendre l’apéro en face, au Bar du Pronostic.
— Vous avez tout à fait raison.
Ils n’ont que quelques pas à faire pour pénétrer dans le bar juste en face du village des antiquaires. En entrant Loule salue le patron :
— Ça gaze, Mémé ?
— Oh, Loule, répond Mémé.
Ils s’installent à une table au fond. Loule commande un Casa, Léopold-François un kir.
— On a découvert une pièce murée sous le bar, figurez-vous.
— Sous le bar ?
— Le Bar de la Sidérurgie, à Pont-de-Vivaux, à cinq cents mètres d’ici. On sait pas depuis combien de temps mais sans doute au moins trente ou cinquante ans.
— Et à l’intérieur il y avait cette boîte ?
— Ça et tout un tas de merdier… Par exemple il y a Le Petit Marseillais de 1868 jusqu’à 1900. Il n’en manque pas un exemplaire. Et on n’a pas fini de chercher, là-dedans.
— Et il s’agit de votre bar ?
— Oui, c’est mon bar. Enfin, je ne suis pas le propriétaire mais c’est mon bar.
— Excusez-moi, Loule — si vous permettez que je vous appelle ainsi — mais si vous n’êtes pas le légitime propriétaire du bar, pourquoi dites-vous que c’est « votre » bar ?
— Hé bé parce que c’est là que je vais. C’est mon bar où je vais.
— Je vois, dit Léopold-François qui ne voit pas très bien.
— Vous allez comprendre…
Loule se tourne vers le comptoir :
— Oh, Mémé ?
— Vouais, Loule, tu veux les cacahuètes ?
— Non, j’ai une question pour mon ami : qu’est-ce que c’est « mon bar » ?
— Ton bar ? Tout le monde le sait, ça… C’est le Bar de la Sidérurgie.
— Voilà, conclut Loule.
— C’est le bar où vous avez vos habitudes.
(…)