Extrait 1
Il a fini par raconter la terrible agonie de Rosy à un parterre compatissant. Il ne voulait pas mais il a fini par craquer, par leur dire.
— Ça a commencé par un fibrome intra-mural… On ne s’y attendait pas…
— Ma belle-sœur en a eu un mais elle s’en est remise, commente une grosse dame en secouant une main pour attester de la gravité de ce genre d’affection.
— Ensuite, poursuit Jeannot, ça nous est tombé dessus !
— ???? fait l’assemblée.
— La gangrène gazeuse ! Ne comptez pas sur moi pour vous raconter cette calamité. C’est une horreur… elle souffrait et moi je ne pouvais rien faire. Je l’ai vue partir…
— Quelle tristesse !
— La médecine est parfois impuissante…
— Si ça avait été la fille de Macron, ne vous en faites pas qu’on l’aurait guérie, témoigne un barbu zen hochant la tête l’air entendu…
Jeannot ne dit rien. Il regarde par terre. Ils voudraient tous le voir sourire, un peu.
— Vous voyez, reprend-il, ça m’a fait du bien de vous parler. J’ai senti votre compassion. Ça m’a fait du bien. Pensons aux mariés…
Extrait 2
Malek ne sortait plus de chez lui sans avoir dûment repassé ses vêtements. Il avait fait l’acquisition d’une centrale vapeur et suivi une formation éclairante sur l’art du pli auprès de madame Gonzalès, sa voisine du dessus, ancienne blanchisseuse qui allait gaillardement sur ses cent ans. Madame Gonzalès avait la particularité d’user d’un langage fleuri :
— Mets de la vapeur, grand con, sinon tu vas niquer ta chemise !
— Oui, madame Gonzalès.
— Là, tu t’y prends comme un vier. Tu mériterais qu’on te coupe les couilles et qu’on les donne aux canards…
— Oui, madame Gonzalès… je vais m’appliquer.
Le grand Malek avait appris des tas de gros mots et était devenu un expert du repassage de qualité.
Extrait 3
— Dis, Roger, ça avance mes affaires du côté de ta Galinette ?
— Bé vé*, Malek, elle m’en a parlé pas plus tard que ce matin. Elle a fait une réunion des sestoilles hier après-midi et elle m’a dit qu’elle avait « quelques pistes pour mon ami le grand Malek ». Elle leur a montré des photos. Il paraît qu’il y en a plusieurs qui seraient intéressées.
— Olala ! Et… c’est quel genre ?
— Ça je sais pas trop. Moi j’y suis pas à ces réunions des sestoilles mais d’après ce que m’a dit ma Galinette, tu seras pas déçu.
— J’aimerais bien une distinguée.
— Il y en a une qui est veuve et tu sais ce qu’il faisait son mari, pour te dire le genre ?
— Non. Comment veux-tu que je le sache ?
— Il travaillait aux pompes funèbres. Quand tu travailles aux pompes funèbres, la distinction, ça fait partie du métier, non ?
— Oui… sans doute. Et puis c’est peut-être plus commode de mourir quand on travaille aux pompes funèbres. On doit voir ça d’un autre œil, c’est un peu boulot-boulot.
— Je n’y avais pas pensé mais c’est sans doute vrai. C’est un peu comme un garagiste qui part en vacances et qui tombe en panne. C’est le métier qui te rattrape.
— Enfin, quand même, son mari il était sans doute distingué mais si ça se trouve, elle, c’est une cagole !
— T’inquiète, Malek. Ma Galinette, elle sait ce qu’elle fait.
— Tu sais si elle sent bon ?
— Je t’avouerai que je n’ai pas demandé mais si elle avait senti le mazout, ma Galinette ne l’aurait pas sélectionnée pour toi.
— Parce qu’elle les « sélectionne » pour moi ?
— Mais bien entendu. Tu crois pas qu’elle va t’envoyer le tout-venant, les cabestrons* dont personne ne veut ? Là c’est le dessus du panier, c’est la crème, c’est le mec plus ultra !
— Tu veux dire le « nec plus ultra », Roger ?
— Mais non, monsieur Canistrelli, le mec plus ultra ça veut dire ce qu’il y a de mieux pour un homme. C’est pour ça qu’il y a « mec » dedans. Ensuite il y a « plus » qui signifie que c’est… davantage et « ultra ». « Ultra » c’est ce qu’il y a de mieux en magasin. C’est comme « Ultra-Brite ». L’Ultra-Brite ça veut dire que c’est un bon dentifrice meilleur que les autres dentifrices.