Extraits – Chemin des Prud’hommes

(…)

Renaud, disons-le tout net aurait mieux fait de fermer sa gueule car, dans la famille Frèrededieu on ne répond pas sur ce ton à son papa et, en effet, le sang de Guy Frèrededieu arriva à ébullition instantanément. Son bras partit aussi sec dans le but d’en mettre une bonne derrière la nuque de son bon à rien de fils lequel fils, pas si incapable que ça, évita prestement une attaque somme toute prévisible. Le mouvement, en l’absence de l’impact qui devait le conclure déséquilibra son initiateur. Or celui-ci, le bien nommé Guy Frèrededieu conduisait à ce moment-là sa bétaillère (PTAC 5 tonnes). Il s’ensuivit un bête écart de trajectoire qui serait resté sans incidence si un semi-remorque grec (PTAC 30 tonnes) n’avait croisé sa route. Son conducteur, Jimmy Stratopoulos, trente-deux ans, fan inconditionnel de Led Zeppelin qui écoutait en boucle Stairway to heaven depuis la frontière espagnole où il avait chargé du xérès, n’eut que le temps de se dire merde. En grec.

Sous le choc le semi quitta la route tandis que Jimmy (il s’était rebaptisé ainsi en hommage à Jimmy Page, légendaire guitariste de Led Zep) s’apprêtait, à regret, à quitter la vie. Il faut dire, comble de malchance, que la route à cet endroit-là empruntait un pont. Le semi tomba donc du pont. La bétaillère qui ne transportait aucun bétail mais transportait quand même la branche mâle de la famille Frèrededieu hésita puis, se rangeant à l’avis du semi, plongea à son tour vers l’autoroute.

Oui, car c’est bien l’autoroute que le pont en question enjambait avec délicatesse .

Cet accident était fâcheux comme tous les accidents.

La circulation fut interrompue, détournée pendant plusieurs heures. Des bouchons de plusieurs kilomètres ajoutèrent à la confusion. Pompiers, ambulances, police, grues furent requis. Le préfet se fendit d’une conférence de presse. L’erreur humaine, les condoléances, la rapidité des secours. Cependant chacun, du préfet aux journalistes, s’accordait à admettre que le bilan aurait pu être bien plus lourd. Outre la cargaison de xérès on ne dénombrait que quelques victimes malencontreusement décédées : Jimmy Stratopoulos dont le lecteur mp3 était intact, Les Frèrededieu père et fils et quatre malheureux passagers de l’autocar sur lequel étaient tombés le semi-remorque grec et la bétaillère bien de chez nous.

(…)

– Dites Agop, ma fille ce qui l’intéresse chez Francis c’est pas ce qu’il fait avec sa triplette…
– Oui, je comprends bien… Mais quand même ça ne devrait pas la laisser indifférente. Avoir un homme respecté, pour une femme, ça ne peut pas faire de mal…
-Ah, il est respecté par qui ? Par une douzaine de fondus qui passent leur temps à regarder des boules ?
– Mais Jeanine, les amateurs de pétanque ne sont pas quelques dizaines. Nous sommes des milliers, des millions, des dizaines de millions. Peut-être même des centaines de millions !
– A mon avis ils ne connaissent pas tous Francis.
(…)
Agop Tabipian est en train de mettre la dernière main à une électro-vanne couplée à un capteur de présence. L’idée est la suivante : tu approches ta main du robinet et pof l’eau coule. Tu t’en vas et pof elle s’arrête de couler. Bénéfice : un, tu ne pourris pas le robinet avec tes doigts crades, deux, tu économises un tas d’eau. Si l’on songe que la salle de bain d’Agop est équipée d’un interrupteur automatique et d’un capteur volumétrique qui, combinés mettent en marche des leds exactement à l’emplacement où vaque le visiteur et qu’ils s’éteignent lorsqu’il celui-ci quitte la zone concernée, on saisit que chez Tabipian le vingt-et-unième siècle est en marche. Agop attirera l’attention du néophyte sur la cuvette des WC sensible à la pression qui déclenche la chasse lorsque l’impétrant se redresse. Là nous ne sommes plus au vingt-et-unième siècle mais bien au vingt-deuxième où, à n’en pas douter, déféquer sera un loisir du dernier chic…
(…)
Le catcat bleu nuit muni d’un pare-buffle pour le cas où un buffle traverserait inopinément la chaussée, avance lentement sur le chemin des Prud’hommes. Oswald fait gaffe car la route étroite est défoncée comme un junkie. Des broussailles pourraient même griffer sa peinture vernie. Comment peut-on habiter des endroits pareils ? On se croirait au bout du monde, pas dans la deuxième ville de France, bordel de merde ! Et cette idée de l’envoyer précisément lui ? C’est juste pour le faire chier.
(…)
– Dites, il va se passer quoi, là ?
– Ça dépendra de toi…
– Oui, enfin, ça dépendra de lui mais surtout de ce que vont décider Francis, Hérodote et Rosette…
– Francis c’est le Rat mais qui c’est ce Cérodote et cette Rosette ?
– Hérodote. Pas Cérodote. Hérodote c’est le type qui a dégommé ta bière et Rosette c’est la copine de Francis.
– Fatche de, vous mêlez la gonzesse à tout ça ?
– On voit que tu ne la connais pas… Elle se mêle toute seule.
(…)